Oumar SYLLA Les structures coutumières dans la gestion foncière dans le Nord de la Côte d'Ivoire Rapport de stage dans le cadre du projet de recherche " Loi et Coutume " (APREFA LAJP CIRAD) |
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I - LA GESTION COUTUMIERE DES TERRES,
UN SYSTEME POLYCEPHALE II - LINTERVENTION SUBSIDIAIRE
DE LADMINISTRATION DANS LA GESTION FONCIERE |
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PRESENTATION DE LA
ZONE DETUDE Létude de la gestion foncière coutumière dans le nord de la Côte dIvoire sest déroulée dans deux sous préfectures du Département de Korhogo, chef lieu de région, parmi les quatre que compte la Région des Savanes (Korhogo, Boundiali, Ferkessedougou, Boundiali, Tangrela). Il sagit des sous préfectures de Korhogo et de Tioroniaradougou, situées toutes dans la zone dense, c'est-à-dire une des zones du département où le peuplement humain est plus important. La sous préfecture de Korhogo couvre une superficie de 1346 km2 avec une population estimée à 553 753 habitants dont 187000 se situent dans la commune. Elle est arrosée par plusieurs cours deaux dont le Bandaman. Des plaines ponctuées par des collines constituent le relief de la sous préfecture. La sous préfecture de Tioroniaradougou qui fait partie des plus récentes, a été créée par décret n°75-772 du 29 octobre 1975 portant remaniement du département de Korhogo. Elle a été ouverte le 21 janvier 1977. Elle abrite en son sein une commune créée en 1975, composée de 22 villages parmi les 52 que compte la sous préfecture. Daprès les recensements de 1998, la circonscription compte une population de 16 605 hbts dont 9018 vivant sur le territoire de la sous préfecture et 6587 dans le périmètre communal. La sous préfecture est arrosée par le fleuve Solomougou et son affluent dénommé Louo ainsi que des rivières intermittentes. Limportance du débit du fleuve Solomougou a permis la réalisation de deux barrages à Nambékaha et à Sologo. Le climat dans la région du nord est de type soudanien avec deux saisons distinctes : hivernage de mi avril à mi octobre, la saison sèche marquée par lharmattan, de novembre à mars. La pluviométrie est caractérisée par une certaine irrégularité. Sur deux années consécutives, la pluviométrie peut varier de manière notable, soit en abondance soit en rareté : source de difficultés dans lélaboration et le suivi du calendrier agricole. Lactivité économique est surtout basée sur lagriculture. Les cultures de subsistance (riz, maïs, arachide, manioc .) ont longtemps été les cultures dominantes. Depuis quelques, années les cultures de rente tels que le coton et lanacardier ont pris une place importante dans les activités agricoles. Du point de vue des infrastructures, les villages visités présentent quelques indices de modernité. La majorité des villages sont alimentés en eau potable avec le système de pompage, et en électricité (éclairage public et privé). Les premiers soins de santé sont assurés par des centres de santé, lhôpital régional se trouvant à Korhogo ville. Le peuplement est caractérisé par une majorité Sénoufos (61% de la population) qui cohabitent avec les Dioulas, deuxième ethnie du département. Dans lethnie sénoufo ou Sénambélé, il y a plusieurs sous groupes avec des pratiques et croyances sensiblement différentes : Nafara, Thiembera, Palagua, Niaraforo, Fodonon. A partir de là, on pourra comprendre les variantes dans la coutume sénoufo. Lorganisation sociale des Sénoufo, peuple dominant de la région, est basée sur la famille élargie qui comprend les conjoints, les enfants, les grands parents, les oncles et tantes, les neveux et nièces. Cette famille vit en général dans le même quartier divisé en plusieurs cours. Les religions sont les suivantes : lanimisme, le christianisme et lislam. Dans le cadre de sa politique générale agricole, lEtat ivoirien a entrepris une réforme foncière a travers la loi n°98-750 du 23 décembre 1998 dont lobjectif est darticuler la gestion foncière à la nouvelle politique de décentralisation. La nouveauté de cette loi est la reconnaissance à titre transitoire des coutumes dans un pays où 82% des terres sont soumises à un régime de gestion coutumier. La reconnaissance revêt un caractère transitoire dans la mesure où ce droit foncier coutumier doit être modernisé et passer vers un régime de propriété privée par le biais de la procédure dimmatriculation. Compte tenu de la teneur de la coutume dans la gestion foncière, il devient opportun de sinterroger sur les conditions dapplication de la loi, partant lavenir qui est réservé à la coutume locale relative à la gestion de la terre. Une telle entreprise doit nous permettre de jauger la place des autorités coutumières dans la gestion foncière dans cette partie nord de la côte divoire, et éventuellement le rôle quelles pourront jouer dans lapplication concrète de la nouvelle loi portant création dun domaine rural. Les enquêtes et investigations effectuées dans les sous préfectures de Korhogo et de Tioroniaradougou ont fait état dune gestion foncière locale toujours marquée par des principes coutumiers. Ainsi, le droit coutumier de la terre est encore vivace dans cette partie de la Côte dIvoire. La loi est reléguée au second plan, et son application nest requise que dans des situations exceptionnelles. Ainsi la logique de lanalyse nous conduit dabord à montrer comment la terre est coutumièrement gérée avant dappréhender les rapports entre les autorités coutumières qui sont détentrices dune certaine tradition, et les structures de lEtat, détentrices de la légalité républicaine. I - LA GESTION COUTUMIERE DES TERRES, UN SYSTEME POLYCEPHALE Chez les Senoufos, lespace foncier est géré par un chef que lon nomme chef de terre ou " tarfolo ". Le tarfolo est, selon la traduction littérale, le propriétaire de la terre même si en réalité il ne joue quun rôle de simple gestionnaire. Loriginalité dans le nord de la Côte dIvoire est quil est possible davoir plus dun chef de terre dans le même village, doù une certaine coexistence de tarfolos. On note aussi, en plus de cette cohabitation, une superposition de ces chefs de terre à un niveau " cantonal ". Ce phénomène de coexistence et de superposition des chefs dans la gestion foncière contribue à un dédoublement des centres de décisions. I-1 LA COHABITATION DES POUVOIRS DE GESTION A LECHELLE VILLAGEOISE Le village est évidemment le premier niveau de gestion de la terre. A cette échelle, on a réussi à identifier deux formules principales de gestion. La formule la plus simple est le cas où la terre est gérée par une seule personne appelée aussi " gestionnaire de terre " qui bénéficie dune certaine exclusivité. Dans ce cas, le chef de terre a une plénitude de compétences et agit au nom de toute la communauté. Il devient incontournable et accomplit tous les actes de gestion. Dans la plupart des villages visités, cest le chef de village ou " keguefolo " qui joue office de maître de terre en plus de ses prérogatives de chef de circonscription administrative. Il bénéficie ainsi une double légitimité : chef de terre et chef de village. Le cumul des deux est possible quand le chef de village est en même temps descendant matrilinéaire du chef de terre sortant. Il faut préciser que la fonction de chef de village ne coïncide pas forcément avec celle de chef de village. Cest deux fonctions sont différenciées dans certains villages. On peut être chef de village sans être chef de terre et vice versa. En tant que descendant le plus âgé du premier occupant de la terre, le chef de terre en sa qualité de gestionnaire du patrimoine foncier collectif, dispose du droit exclusif dattribuer en usufruit des parcelles de terre aux membres adultes de sa famille. Nul ne peut entreprendre dexploiter un de ses lopins de terre sans son consentement préalable. Hypothèse rare, mais le chef de terre peut ne pas résider dans le même village. Cest le cas en cas de déménagement du chef de terre pour une quelconque raison. Le fait de quitter le village naffecte en rien lautorité du chef de terre. Il exerce son autorité à distance et reçoit les demandes de terre à partir de son nouveau village daccueil. Le chef principal peut reconnaître quelques pouvoirs de gestion à certains chefs de famille, descendants de la lignée. Cest le cas quand le village est composé de plusieurs grandes familles. Cest une forme de délégation de pouvoirs qui permettent à ces délégataires de gérer dune manière efficiente le patrimoine familial. Les pouvoirs délégués sexercent seulement sur les parcelles exploitées par la grande famille. Mais les décisions les plus importantes, par exemple celles qui concernent la collectivité toute entière, sont du ressort du chef de terre principal. Dans dautres situations, la fonction de chef de terre est partagée. Ainsi, on assiste à lexistence de plusieurs chefs de terre autonomes et indépendants les uns des autres dans le même village. Cest le cas quand il y a plusieurs lignages dans le même village. La gestion se fait par lignage et le chef est ainsi appelé " gestionnaire des terres de lignages ". Le patrimoine foncier est éclaté entre lignage. Même si le village a été fondé à lorigine par une seule personne qui est le premier défricheur, le détenteur originaire du titre de chef de terre reconnaissait souvent une certaine autorité sur des terres à dautres chefs de familles qui venaient cohabitaient avec lui, cette autorité pouvant se perpétuer de génération en génération. Cest de là que prend source la légitimité de certains gestionnaires de terre de lignage actuels. Dans les villages de Tioro 1 et de Tioro 2, dans la sous préfecture de Tioroniaradougou, la cohabitation entre lethnie fondatrice du village (les Sénoufos) et les Dioulas a été favorisée par les exigences relatives à lorganisation du travail. Les Sénoufos étant traditionnellement des exploitants agricoles, il fallait dautres catégories pour soccuper des autres fonctions indispensables à lexercice de lactivité agricole. Cest ce qui a occasionné linstallation des dioulas qui soccupent de la forgerie, de la bijouterie, de la cordonnerie et surtout du commerce. Dans ce cas despèce, les dioulas restent toujours soumis à lautorité du chef de terre qui est sénoufo, même si les descendants actuels se considèrent de fait comme étant propriétaires des terres anciennement acquises par leur grand parent. Le dédoublement de lautorité de chef de terre peut résulter dune fusion ou de la juxtaposition, entre deux villages. Dans le village de Dih, dans la Sous préfecture de Korhogo, lautorité est partagée entre deux chefs. A lorigine le village de Dih navait quun seul chef de terre. Mais à cause des calamités naturelles (dans ce cas une épidémie), ils ont été rejoints par les habitants de Nofou, un village voisin avec qui Dih avait des liens de parenté. Le village de Nofou existe toujours, mais il est inhabité parce que tous ses habitants se sont greffés au village de Dih. Le chef de terre de Nofou conservant toujours son titre, dédouble celui de Dih. Mais les compétences ont été bien réparties. Le chef de terre issu du village de Dih exerce son autorité sur les terres appartenant originairement au village de Dih, alors que le second exerce la sienne sur les terres de Nofou qui sont toujours conservées. Les deux gestions sont autonomes et indépendantes. Ainsi, même quand un originaire du village de Dih veut faire une demande sur les terres gérées par le chef de terre de Nofou quelques soient les liens de parenté, il doit nécessairement sadresser à ce dernier. Ce principe est également valable pour les originaires du village de Nofou qui voudraient une terre dans les parcelles du village de Dih, c'est-à-dire quils doivent toujours passer par son chef de terre. I-2 LE SECOND NIVEAU DE GESTION DE LA TERRE, " LE CANTON " Le canton est une institution de fait parce quinexistant dans lorganisation administrative et territoriale de la république de Côte dIvoire. Cest une ancienne division coloniale dont le but était de reconvertir les chefs traditionnels dans les fonctions dadministrateur moderne. Dans le cadre de sa politique de chefferie, le colonisateur érigeait les chefs coutumiers les plus influents en chef de canton pour quils servent de collaborateur à la politique coloniale et surtout de contrepoids aux autres chefs traditionnels déjà existants tel que le chef de village. La fonction de chef de village est ainsi distincte de celle de chef de canton. On peut même dire que cest deux institutions concurrentes. Le chef de canton était souvent descendant du fondateur du terroir, et disposait de prérogatives en matière foncière. Même si au départ les chefs de canton sont nommés par le colon, le mode de dévolution notamment de succession, obéit aux principes coutumiers. Cette institution hybride a permis déclater lautorité au niveau du lignage en investissant le chef de terre comme chef de canton à côte du chef de village qui soccupe logiquement dautres fonctions autres que foncières. Le chef de village de Tioro nous a fait savoir quil nest pas habilité à parler de la terre, il faut plutôt sadresser au chef de canton. A lorigine, le chef de canton, occupant une position privilégiée parce quétant le premier occupant, donnait les autorisations de défrichement au profit de personnes qui voulaient sinstaller dans son terroir. La plupart des villages visités sont installés avec lautorisation des chefs de cantons. Cest ce qui a créé des rapports dallégeance et même de tutelle entre le chef de canton et ces villages installés avec son autorisation. Le chef de canton en raison de lhistoire, considère avoir toujours autorité sur les chefs de terre résidant dans ces villages. Mais aussi ces derniers croient tout bonnement légitime lautorité du chef de canton sur eux. Le canton est ainsi composé dun ensemble de villages, avec un village centre où réside le chef, qui donne limage dune capitale administrative vers la quelle devront faire remonter les chefs de terre des principaux villages les dossiers fonciers auxquels ils narrivent pas à trouver des solutions. Cest ainsi que le chef de canton est saisi en cas de conflits fonciers insolubles au niveau villageois. Les rapports entre le chef de canton et les divers chefs de terre présents dans les villages ressemblent plutôt à une relation de tutelle. Les chefs de terre sont même invités parfois à requérir lavis du chef de canton avant darrêter certaines décisions dans leurs activités quotidiennes de gestion. Le chef de canton a un rôle à la fois consultatif et approbatif, mais rarement décisionnel. Il intervient rarement directement dans la gestion des chefs de terre des différents villages composant son fief. Au niveau sous préfectoral, le chef de canton est incontournable dans le processus décisionnel en matière foncière. Ladministration nhésite pas à recourir au chef de canton pour certains litiges fonciers. Ils sont aussi associés à toutes les décisions que lEtat ou ses représentants voudraient prendre dans ses limites territoriales. Au niveau des sous préfectures, leur témoignage est souvent requis en cas de conflit foncier. Ainsi on voit que, même si linstitution de chef de canton nest pas consacrée par les textes, elle bénéficie quand même dune reconnaissance dans la pratique administrative. On pouvait espérer que la loi foncière de 1998 consacre expressément la fonction de chef de canton, mais le caractère légal dune telle institution reste toujours indéfini. Ainsi donc à côté dun découpage administratif officiel, existe une représentation coutumière de lespace à base coloniale. Le chef de canton, tout comme les chefs de terre, doivent remplir certaines conditions pour pouvoir accéder à de telles fonctions. I-3 LES CONDITIONS DACCES AUX FONCTIONS DE GESTIONNAIRE DE TERRE Il faut remplir deux conditions pour pouvoir prétendre aux responsabilités de chef de terre. La première condition fait référence à la descendance par rapport à lordre de succession. Par contre la deuxième condition voudrait que le chef soit psychologiquement et mystiquement préparé, doù la nécessité dêtre initié. Il faut préciser que ces conditions sont requises pour pouvoir exercer une quelconque responsabilité en société Sénoufo, comme celle de chef de village. Pour être chef de terre, il faut appartenir à la lignée matrilinéaire. Cest le système matriarcat qui est en cours dans la société Sénoufo. Seuls les neveux succèdent à leur oncle. Plus précisément, cest laîné de la sur la plus âgée qui peut prétendre à la succession du chef (chef de terre ou chef de village). Les neveux sont considérés comme de propres fils par loncle. Les neveux considèrent aussi loncle comme étant leur père. Ce système matrilinéaire en matière de succession trouve sa justification dans ladage suivant : " on est toujours certain de la maternité de lenfant, mais on peut douter de sa paternité ". Cet adage dont les gens ont du mal a retracé son contexte, repose sur le postulat selon lequel le cordon ombilical constitue largument le plus pertinent pour établir lappartenance de la personne à la lignée. Les sénoufos rappellent aussi souvent qu " on a pas le droit de se rebeller contre son oncle maternel " pour marquer limportance de la lignée maternelle en matière de succession dune part, et la proximité entre le neveu et loncle dautre part. Linstitution du système matrilinéaire explique pour certains lexclusion de la femme de lhéritage. La femme est déjà privilégiée par le fait que cest toujours ses enfants qui ont droit à lhéritage, donc elle ne peut prétendre à lhéritage en même temps queux. Dans certains villages (lexemple de Zanapokaha dans la sous préfecture de Tioroniaradougou), quand on se marie avec une fille du village, on a pas le droit de demander une parcelle. Le mari est invité à ramener sa femme à son village dorigine. La terre étant considérée comme femelle, on ne peut prétendre à deux femmes à la fois dans un même village, disent-ils. Avec le système de succession matrilinéaire, lenfant qui est potentiellement promu à la succession est recueilli généralement dès le bas âge par loncle qui linstalle dans sa cour. Il linitie aux aspects mystiques de la société (voir supra) et à la gestion des affaires du village. Il est associé à la prise de décision en tant quobservateur. Ce qui lui permet de suivre de plus prés les opérations de gestion foncières. Pour la plupart du temps, quand le neveux atteint la maturité, cest lui qui gère presque les affaires de loncle. Il soccupe de lexploitation des champs ; et comme il est suffisamment informé, il peut même représenter le chef dans certaines circonstances (comme les réunions ou les cérémonies). Le neveu joue ainsi un rôle de chef de terre " adjoint ". Lavantage de ce système dassociation est quil permet au futur héritier dêtre au courant de toutes les opérations effectuées par son oncle de son vivant. Par contre, les neveux qui ont grandi en dehors de la cour du chef et du village même, sont confrontés à des problèmes dinformation dès quils seront appelés à prendre le pouvoir, du simple fait quils risquent dignorer la situation générale des terres (par exemple, les parcelles qui sont détenues par des personnes nappartenant pas au lignage et qui disposent donc uniquement de droits dusage, les limites des parcelles). Si le neveu na pas grandi dans le village, il lui faut donc une remise à niveau, ce qui est souvent la mission des anciens du village qui jouent un rôle de " cadastre ambulant " parce que connaissant toute lhistoire des terres. Ainsi dans le village de Katiofi, dans la sous préfecture de Korogho, le chef de village en même temps chef de terre très jeune (moins de la cinquantaine) a grandi dans le village de son père. Pour le cas de ce village de Katiofi, le neveu a été rappelé après le décès de son oncle pour le succéder. Le problème auquel il était confronté a été le recensement des terres qui sont détenues par les familles étrangères au lignage. Les personnes de mauvaise foi ont essayé de dissimuler les parcelles qui leur étaient simplement prêtées. Il a fallu une opération dune grande envergure avec évidemment la collaboration de tous les vieux du village, pour pouvoir identifier les personnes qui ne disposaient quun droit dusage sur les terres des ancêtres. Il faut rappeler quavec le mariage, la femme vit souvent dans le village de son mari, où grandissent aussi les enfants. Ces derniers ne rejoignent le village maternel quau décès de loncle pour assurer la succession. Le chef dans la civilisation senoufo nest pas seulement un " administrateur ". Au-delà de lapparence, il doit acquérir des connaissances mystiques. Il nest pas un " homme ordinaire ". Le chef doit pouvoir assurer et perpétuer le culte. Les exigences dordre mystique de la fonction de chef de terre La dimension mystique est très prégnante chez le sénoufo. La terre étant sacrée, le chef de terre est lintermédiaire entre les génies avec qui il doit communiquer, et les hommes composant la communauté. En sa qualité de représentant du premier occupant qui a passé un pacte avec les génies de la terre, le chef de terre doit veiller au respect scrupuleux de ce pacte. Il doit donc lentretenir, le vivifier périodiquement par des sacrifices et des offrandes sous peine de déchaîner leur colère. A la veille de chaque hivernage, cest le chef de terre qui doit faire les sacrifices pour le compte du village pour que les génies veillent sur les terres afin davoir un bon hivernage. Comme disais un chef de terre, " cest vrai que les génies nont jamais construit la terre, mais on doit les bons résultats donnés par la terre à la clémence du bon dieu et des génies ". Cétait loccasion pour démentir une idée reçue selon laquelle la terre appartient aux génies. Pour lui, la terre appartient aux hommes même si laccord des génies est nécessaire pour loccupation des sols. Pour dautres, les génies ne sont pas maîtres de la terre, ils jouent seulement un rôle protecteur. La terre appartient à Dieu et que ces génies ont été même créés par lui. Comme ministre du culte, représentant des génies de la terre et incarnation des esprits des ancêtres, le chef de terre doit rechercher les causes des malheurs qui sabattent sur le village, aucune maladie nétant naturelle selon la croyance populaire. A cet effet, il doit consulter des devins qui prescrivent toujours des sacrifices à faire. Le caractère sacré de la terre justifie le jour de repos appelé " Tien ningue " qui est décrété dans la semaine. Cest un jour de congé où personne ne doit aller aux champs, parce que cest le moment choisi par les génies pour descendre dans les champs. Le vendredi est le jour décrété pour laisser se reposer la terre. La personne qui loutre passe doit faire une offrande dune poule au génie protecteur de la terre par lintermédiaire du chef de terre. La poule est remise en réalité au chef de terre qui se charge de limmolation. Si non la terre risque dêtre improductive ou des bestioles vont sattaquer à la récolte. Le Poro ou lécole dinitiation Limportance de la dimension sacrée dans la coutume fait que le chef est toujours invité à percer les mystères. Ces facultés sont acquises dune manière générale par le biais de ce quon appelle le " Poro ", qui est un rite initiatique organisé tous les Sept ans. Cest un rite auquel ne peuvent assister que les hommes âgés au minimum de douze ans, organisé dans les forêts sacrées qui constituent le grainier où est conservé et transmis le savoir occulte. Peuvent accéder aux forêts sacrées, seules les personnes autorisées à suivre le Poro ou les personnes déjà initiées. Le rite dans les forêts sacrées est tenu secret. Personne ne doit dévoiler le mystère des forêts sacrées à une personne non initiée sous peur dêtre mystiquement sanctionné, sanction pouvant aller jusquà la mort. Même le sénoufo qui na pas été initié ne peut pas savoir ce qui se passe dans cet endroit " mystique ". Cest la loi du secret qui y règne. Les grandes décisions et les grandes assemblées sont tenues dans les forêts sacrées auxquelles ne peuvent assister que les initiés. Limportance des forêts sacrée dans le processus décisionnel nous pousse à faire la distinction entre " la décision de jour " qui est la décision arrêtée au vu et au su de tout le monde, de " la décision de nuit " qui demande une audience avec les génies et à laquelle peuvent assister que les initiés. Il est important de noter que la femme en société sénoufo na pas droit à la parole surtout en public et nassiste jamais à ces assemblées mystiques. Exceptionnellement lavis de la nièce maternelle peut être requis dans certains villages si cest important. Notamment son témoignage peut être requis dans la gestion foncière en cas de nécessité absolue. A loccasion de ce rite initiatique, le chef de village qui est souvent le chef de terre est le maître de la cérémonie en tant que gardien du culte. Il est censé transmettre le mystère aux nouveaux. Il reçoit aussi les demandes de participation à linitiation des jeunes. La participation au rite dinitiation du Poro présente une grande importance chez les Senoufos. Elle contribue à forger la personnalité de lindividu, par conséquent à sa socialisation. Avec le Poro, on apprend à respecter la hiérarchie sociale et à mieux considérer les ancêtres et les vieux. La société senoufo est très disciplinée, le droit daînesse est très respecté. Linitiation est vraiment un élément pour être mieux considéré dans cette société. Le Poro est aussi symbole de courage et dattachement à la coutume. Cependant les jeunes qui vont à lécole sont de moins en moins initiés. Il faut préciser que le phénomène scolaire est très récent dans la société Sénoufo. Le taux de scolarisation est très bas dans le nord, parce que les parents préfèrent envoyer les enfants aux champs en raison du coût très élevé de la scolarité. Ces règles sont relatives à la manière dont les décisions sont arrêtées par le chef et les principes qui servent de cadrage aux décisions dans la gestion foncière. Certaines de ces règles obéissent à une logique de bonne gestion alors que dautres, à un souci de cohésion sociale. I-4-1 le principe de la consultation Avant de prendre une décision dans sa mission de préservation du patrimoine foncier collectif, le " tarfolo " doit requérir lavis des sages du village. La gestion est tout a fait communautaire parce quexercée par le chef de terre dans lintérêt de toute la collectivité, mais on ne peut dire quelle est vraiment collégiale. Le chef de terre agit souvent seul même si le principe de la consultation reste un acquis. La consultation constitue une simple formalité sans valeur obligatoire. La consultation avec les génies, deuxième étape du processus décisionnel, est la plus déterminante. En réalité, le seul contrepouvoir au chef de terre est les génies. Avant dentreprendre tout acte qui peut être considéré comme répréhensible, le " tarfolo " prend soin de se référer dabord aux génies pour solliciter leur consentement préalable en procédant à des offrandes(voir infra). La nécessité de respecter scrupuleusement la tradition léguée par les ancêtres peut être considérée comme étant un contrepouvoir aux prérogatives du chef de terre. Le chef de terre est tenu à une gestion rigoureuse du patrimoine collectif selon les normes léguées par les ancêtres du fait quà sa mort, il aura à rendre compte de son comportement à ses devanciers réunis en tribunal. La peur que suscite la perspective de cette reddition des comptes est une garantie efficace contre les abus. 1-4-2 Le caractère imprescriptible du droit sur la terre Laccès à la terre est possible sans distinction dethnie, de religion ou même dorigine. On peut toujours disposer dun droit dusage précaire et temporaire. Il suffit seulement den faire la demande au chef de terre et à la limite des parcelles disponibles. Mais on ne peut jamais revendiquer la propriété dune terre pour lavoir longtemps occupé. La terre restera toujours la propriété du lignage. Quelque soit la durée de loccupation, la personne bénéficiaire dun prêt de terre sera toujours considérée comme un détenteur provisoire (voir infra avec les conflits). La procédure de demande très simplifiée, permet un accès facile à la terre, par conséquent elle peut être source dabus. Pour éviter les revendications abusives de propriété sur la terre, laccès se fait maintenant en contrepartie dune convention morale. Une procédure daccès à la terre simple La procédure de demande dattribution est très simple et ne demande aucun frais. Pour emprunter une parcelle de terre, on doit présenter au chef de terre dans sa cour à titre symbolique une bûche de bois extraite de la forêt, appelée " Kadjague ". Le " Kadjague " en tant que symbole social, fait lobjet de plusieurs interprétations. Pour certains, il symbolise la communion, parce que grâce au feu obtenu avec ce morceau de bois que le chef de terre réunissait tous les membres du village dans sa cour à la tombée de la nuit pour la veillée. Le rassemblement autour du feu était loccasion pour discuter de manière quotidienne des problèmes du village. Maintenant avec le développement progressif de lexploitation individuelle et léclatement de la grande famille, ces veillées nocturnes ont presque disparu. Pour dautre, lavantage de ce morceau de bois est quil permet déviter les tentatives de corruption. Le fait doffrir de largent ou dautres biens de valeur peut pousser le chef de terre à être plus ou moins sélectif en privilégiant les mieux offrants. Par contre avec le morceau de bois accessible à tout le monde, les chances davoir accès à la terre sont égales. La dernière interprétation donnée du " Kadjague " est quelle empêche à la personne bénéficiaire dun prêt de terre de revendiquer un quelconque droit sur la parcelle. Ainsi lacte de prêt ne peut être pris pour une vente ou une hypothèque dès linstant quaucune prestation na été requise au moment de la demande. Le principe de la gratuité doit parfois être relativisé. Certains chefs de terre, même sils nexigent pas une rétribution directe en contrepartie du prêt, sattendent quand même à une gratification en nature ou en espèce. Par exemple, le bénéficiaire de la parcelle doit penser donner symboliquement à la fin de la récolte une petite partie. Ainsi, disais un chef de terre, " je nexige rien pour prêter la terre, mais le fait de faire des cadeaux ou de maider dans les travaux champêtres me motive à donner mes propres parcelles ". Le don pouvant être assimilé à une dîme ou " tadane ", est un simple acte de reconnaissance. Certains chefs de terre bénéficient de la prestation de service de leurs emprunteurs. En règle générale, les villageois doivent consacrer un jour sur les 6 que compte la semaine chez le Sénoufo, aux champs du chef de terre et à tour de rôle. Cet investissement humain sexplique par le fait que cest le chef qui reçoit et nourrit toujours les étrangers et les hôtes qui séjournent au village. Donc, la contribution de la population serait tout simplement de fournir un effort physique dans les champs du chef. Mais les gens sinvestissent de moins en moins pour le chef de terre, comme la dîme est en train dêtre révolue dans plusieurs villages surtout avec linfluence de la conjoncture économique. Le contentieux suivant dont lorigine était le non paiement de la dîme, soumis au sous préfet de Korhogo ces dernières années, nous éclaire plus sur la situation dune telle redevance dans la région. En 1990, un conflit a opposé une grande famille de Korhogo au village de Lakpolo dans la sous préfecture de Korhogo. La première exigeait le paiement de la dîme aux exploitants du village à la fin de chaque récolte de riz pour avoir concédé à ces exploitants des terres. Chaque exploitant occupant le terrain doit fournir cette dîme. Et les habitants de Lakpolo souhaiteraient que cesse cette dîme qui ressemble à un asservissement. Après avoir reçu la plainte des exploitants, le sous préfet a ordonné immédiatement larrêt de cette pratique interdite par la loi. La loi interdit le versement de la dîme à quiconque cédera une parcelle de terre à un postulant. Aujourdhui, les chefs de terre avancent quils nont jamais aboli la dîme, mais cest les villageois qui ne veulent plus lacquitter ; et quils ne peuvent pas les contraindre. A lanalyse, on peut penser que linstitution de la dîme en tant quélément de la coutume va de plus en plus tomber en désuétude, cela non du fait de la loi, mais plutôt de la volonté de la population de faire cesser une pratique quils considèrent comme étant une marque dasservissement. Les politiques ont favorisé aussi le recul de linstitution de la dîme. Historiquement, les travaux forcés étant officiellement abolis, en 1946 déjà le P D C I (Parti Démocratique de la Côte dIvoire) interdit à toute personne de travailler pour autrui sans être rémunéré, chacun étant libre de disposer des fruits de son travail. Dans la même logique, le Président Houphouët Boigny a déclaré publiquement que " la terre appartient à celui qui la met en valeur ". Ce slogan qui a été à lorigine de plusieurs conflits, a permis aussi aux usufruitiers de se départir des servitudes des chefs de terre, comme lobligation de travailler pour le chef de terre ou le versement dune partie de la récolte. Ce slogan a servi dargument pendant longtemps aux autorités administratives dans le règlement des litiges fonciers, comme on la vu avec le sous préfet de Korhogo. Mais on peut quand même reconnaître que le prêt de terre à une personne non membre du lignage crée un esprit de solidarité. Cest ainsi que le bénéficiaire est tenu dune obligation dassistance et de compassion au chef et à sa famille pendant les événements douloureux, comme les funérailles. Souvent il offre à la famille défunte des vivres et un pagne en marque de soutien aux dépenses occasionnées par lévènement, sans compter la présence physique. Ce devoir dassistance permet à létranger à la famille de se faire une bonne image, par conséquent de mieux sintégrer dans le village. Il faut remarquer que rares sont maintenant les demandes de terre qui reçoivent une réponse positive, malgré leur importance numérique. La terre manque réellement. Elle ne suffit même plus à la propre famille pour pouvoir en donner à des étrangers, répliquent certains chefs de terre. Dans la majorité des villages, lhypothèse de prêter la terre est même exclue. A cause de ce manque criard de terre, les gens nhésitent pas à aller dans des villages éloignés pour demander des parcelles à cultiver pour nourrir leur famille. Ce phénomène a occasionné le développement dune coopération ou solidarité entre villageois dans le processus daccès à la terre. Les mesures préventives à la prescription Pour enrayer toute hypothèse pouvant mener à la revendication de la propriété, le chef de terre soumet laccès à la terre à des conditions, même si par ailleurs laccès est en principe gratuit. Ainsi il est interdit de faire des cultures pérennes et de planter des arbres sur la parcelle (la plantation danacardes et de manguiers prend des proportions importantes dans le nord, voir infra). Seules les cultures vivrières qui ne durent pas plus de quatre mois, sont autorisées. Cette restriction est valable aussi bien pour les membres du village que pour les étrangers dès linstant quon ne dispose pas de " droit de propriété " sur la terre, c'est-à-dire si on est pas vraiment héritier légitime. Les fruits des arbres sis sur la parcelle empruntée appartiennent au propriétaire terrien, et que loccupant ne doit en aucune manière les récolter. Comme le dit le proverbe sénoufo, lallocataire " est invité à regarder en bas et non en haut ". Le contrat de prêt est précaire et révocable. Lemprunteur est rangé dans la catégorie de bénéficiaires " de droits délégués " ou " droits secondaires ". Ces derniers désignant lensemble des arrangements permettant daccéder à la terre par lintermédiaire dautres personnes, généralement sans lien de parenté, et pour une durée limitée. Le prêt de terre est en principe valable pour une saison. Il faut penser renouveler le contrat de prêt à lapproche de la saison prochaine. La reconduction du contrat de prêt est souvent tacite. C'est-à-dire la personne peut continuer à exploiter la parcelle jusqu'à ce que le propriétaire la réclame. Lessentiel est de faire savoir à ses descendants que la terre ne tappartient pas et quun jour son maître peut la réclamer. Cest pourquoi la bonne foi et lhonnêteté de la personne demanderesse sont souvent appréciées par le chef de terre. Pour sen convaincre, le chef de terre procède à une sorte denquête de moralité, notamment à travers les rapports de voisinage. En cas de décès de lemprunteur, les héritiers sont invités à renouveler le contrat de prêt au près du chef de terre. Cette opération doit permettre aussi à ce dernier didentifier les nouveaux occupants et de rappeler les conditions en vue dune bonne cohabitation. Cest une simple formalité dusage qui témoigne de la reconnaissance de lautorité du chef. I-4-3 Linaliénabilité de la terre La terre est hors de commerce dans la culture Sénoufo, contrairement au sud de la Côte dIvoire (zone de plantation de café et de cacao) où le marché foncier est très développé. Les ventes de terre sont prohibées par la tradition. On ne dispose quun simple droit dusage sur la terre quelque soit ses pouvoirs. Même si le chef de terre se considère comme étant propriétaire des terres, il a lobligation morale de ne pas les vendre. Cest une obligation morale parce quil ny a aucune voie de recours, ni aucune sanction concrète prévues en cas datteinte à ce principe. Apparemment ce principe relève seulement du bon sens et de la bonne foi. Aucune vente de terre na été effectuée jusquici dans la zone, daprès les témoignages recueillis de part et dautre. Les raisons suivantes peuvent être évoquées pour justifier le caractère inaliénable de la terre. La terre appartient au lignage Le chef de terre nest pas propriétaire de la terre malgré limportance de ses prérogatives. Et pourtant le chef de terre se considère au quotidien comme étant propriétaire des terres léguées par ses ancêtres. En réalité il nest que ladministrateur ou le gestionnaire de la terre. Le chef de terre est le détenteur des droits fonciers coutumiers, le gestionnaire des terres familiales considérées comme un dépôt sacré faisant partie de lhéritage légué par les ancêtres aux générations à venir. La terre constitue ainsi un patrimoine quil faut minutieusement préserver et non vendre. Et comme disais un chef de terre, " il ne faut pas vendre la terre, tu vas manger avec tes enfants ". A ce propos, Elias Olawale affirme que " la terre appartient à une grande famille dont beaucoup de membres sont morts, quelques-uns sont vivants, et dont le plus grand nombre est encore à naître. " En dehors de sa fonction de survie, la terre est un patrimoine familial qui perpétue lesprit des ancêtres et le lignage par la transmission. Le caractère res extra commercium de la terre en pays Sénoufo ne fait que confirmer les propos dEtienne Le Roy selon lesquels, " lobjectif de tout fondateur de lignée nest pas de réunir un patrimoine mais de donner à ses ascendants une maison commune où les plus déshérités pourront vivre et où tous pourront se retrouver à des moments festifs la terre du lignage est destinée à la reproduction du groupe, elle doit subvenir aux besoins de ses membres présents et futurs, elle ne doit pas sortir du groupe . En ce sens elle est inaliénable mais cette inaliénabilité nest pas une limitation à lexercice dun droit ; elle est lexpression de sa fonction propre qui est de transmettre à lintérieur du groupe ". La terre est le symbole de lautorité Largument relatif à lautorité peut être évoqué aussi pour justifier le caractère inaliénable de la terre chez les Sénoufos. En effet, la vente de la terre entraîne une perte dautorité du chef de terre. La terre étant lobjet et le cadre de ses prérogatives, aliéner la terre revient à remettre en question son autorité, du moins sa disparition. Linstitution de la propriété privée risque de remettre en cause le caractère communautaire du village qui est fondé sur le lignage. La vente de terre sera une opportunité pour les étrangers denvahir le village et davoir les mêmes droits que les descendants du village (le Sénoufo est conservateur et il tient à garder lauthenticité des liens de famille). La terre est source de sacralité Lunivers dans la cosmogonie Senoufo est composé déléments qui interagissent entre eux. Le Sénoufo est étroitement attaché à la nature : la terre, les eaux et le ciel font lobjet de culte. Si leau vient du ciel pour arroser les champs, cest grâce au culte qui se pratique dans les forêts sacrées. Il faut rappeler quà la veille de la saison des pluies, des offrandes et des sacrifices sont effectués après un recueillement avec les ancêtres dans les forêts sacrées, pour une saison de pluies prospère. Chaque village a sa propre forêt sacrée, donc son propre lieu de culte qui fait partie intégrante du patrimoine culturel. La terre ne sert pas seulement à nourrir les individus, mais aussi elle abrite les sanctuaires. Ce qui fait quaujourdhui on ne pas gérer lespace rural dans le nord sans tenir compte de ces espaces de culte. Dailleurs le gouvernement ivoirien encourage la protection des forêts sacrées qui sont considérées comme des réserves naturelles, dans le cadre du programme de lutte contre la désertification. Les forêts sacrées sont parfois au milieu des champs de culture, pas forcément aux alentours du village. Lexistence des forêts sacrées qui constituent un élément de la sacralité de la terre, crée un attachement au terroir. Ainsi, il faudrait à tout prix conserver le patrimoine mystique. Par conséquent, la vente des terres surtout à des personnes étrangères au village peut entraîner la disparition de ces espaces de culte ou tout simplement une décadence de la mysticité dans la gestion des terres. A lidée de Raymond Verdier quil est inutile de faire intervenir des considérations religieuses, comme la sacralité de la terre, pour justifier linaliénabilité de la terre, il est quand même nécessaire de préciser que la sacralité de la terre est le substrat de tout autre principe relatif au régime juridique de la terre, tels que la nature lignagère de la propriété. La terre est dabord un espace spirituel avant dêtre un instrument de survie pour le lignage. Quel avenir pour le principe dinaliénabilité de la terre ? Lanalyse prospective de ce principe dinaliénabilité doit être envisagée au regard de la nouvelle loi sur le domaine foncier rural. La loi de 1998 affirme que limmatriculation des terres sera individuelle même si le certificat foncier peut être collective. Ainsi le terrain sera au nom dune seule personne et non de tout le groupe. Cette innovation juridique peut être à lorigine dun marché foncier, notamment en incitant à la vente de terrain. Avec les mutations qui sont entrain de se produire avec lintroduction des cultures de rente (le commercial va lemporter sur la tradition), on peut craindre avec cette nouvelle loi, que la terre ne soit plus une affaire de famille ou de lignage. La gestion individuelle qui commence à prendre des proportions, va lemporter sur la gestion communautaire, étant entendu que la nouvelle législation foncière cherche à instituer la propriété privée. Des bouleversements sont à envisager dans lavenir même si lapplication de la loi est loin dêtre effective. I-5 LES INCERTITUDES DE LA GESTION COUTUMIERE FONCIERE La gestion des terres par les autorités coutumières dans le nord nest pas aussi paisible quon pourrait limaginer. Même si la situation est loin dêtre comparable à ce qui se passe dans le sud de la côte divoire, il faut reconnaître que la gestion des terres engendre des confrontations. Ces dernières selon certains, sont les signes annonciateurs dune certaine évolution tacite, du moins en douceur, du droit coutumier traditionnel. Rarement sanglants, ces conflits ont commencé à se poser avec acuité pendant ces cinq dernières années. La permanence des conflits dans la gestion foncière sexplique par lévolution du contexte socio-économique. Après avoir retracer le contexte dans lequel se déploient les conflits, il convient den dresser une typologie avant dexposer leur mode de gestion alternative. I-5-1 Les mutations en cours et leur influence sur la gestion coutumière des terres Il sagira ici de démontrer comment la dimension démographique et lintroduction des cultures de rentes ont fragilisé la gestion coutumière des terres dans le nord. Il faut convenir que le politique na pas un impact déterminant dans un tel mode la gestion foncière dans la zone détude. Bien que le RDR (Rassemblement Démocratique Républicain) soit majoritaire, il ny a pas dinteraction directe entre le politique et la gestion foncière surtout coutumière. I-5-1-1 Les facteurs démographiques La population Korhogolaise a connu ces dernières années une forte augmentation, malgré les nombreux départs vers les régions du sud et du centre. En lespace de 10 ans, la population a accru de plus dun tiers. Daprès les recensements effectués en 1998, la population dans le département de Korhogo était de 390 229 habitants soit une densité de 31 hbts/ km2. En 1998, cette population est passée à 553 754 habitants avec une densité de 46 hbts/km2. Plus de 72 % de cette population vit en zone rurale. Limportante population en zone rurale a fait que le besoin de terre de culture se fait de plus en plus sentir. Il sagit surtout de manque de terre arable et non despace. Les terres perdent de leur fertilité en raison de labandon de la jachère et de toutes pratiques visant à laisser reposer le sol. Lappauvrissement des sols entraîne une augmentation des superficies de cultures chaque année pour garder la production constante. Du coup, la terre se fait rare sans compter le retour de certains retraités et de déscolarisés au village. Au niveau de la structure familiale, les exploitations qui étaient destinées à une famille élargie sont éclatées entre petites familles. Lexploitation individuelle est en train de prendre des proportions dans la société sénoufo. On parle même de développement de lindividualisme. Le fils nhésite pas à prendre une parcelle après mariage ou dès quil se sent en mesure dexploiter seul le champ. Dans le passé, le principe est que tout le monde sinvestisse dans le grand champ familial ; ce nest quaprès la récolte que le chef fait la répartition entre les mariés et garde la proportion qui lui permet de nourrir les autres membres de la famille qui vivent toujours sous sont toit. On peut bien comprendre que lindividualisation soit un facteur incitatif à la quête ou à la revendication de parcelle pour être autonome au lieu dêtre soumis à un régime collectiviste de production. Lidéal de tout jeune aujourdhui, est de produire pour son propre compte, lintroduction des cultures de rentes constituant aussi un facteur catalyseur. I-5-1-2 Les facteurs économiques Même si la vocation du nord de la Côte dIvoire a toujours été lagriculture de subsistance, depuis quelques années des ambitions mercantiles commencent à animer les exploitants. Les cultures pérennes ou de rente occupent une place de plus en plus importante dans laménagement de lespace cultural. Les cultures de rente, peut-on dire, entraînent des bouleversements plus ou moins considérables dans lorganisation sociale senoufo. Comme la révélé une étude menée sur le droit foncier coutumier chez les Sénoufos en 1991 par le Ministère de lAgriculture et des Ressources Animales (MINAGRA), le passage dune économie traditionnelle de subsistance, fondée sur la puissance collective, à une économie de marché, a généré lémergence de la famille nucléaire. La culture du coton a permis à beaucoup de producteurs dopérer une reconversion ou tout simplement dopter pour une double culture (vivrière dune part, coton dautre part). Laménagement de lespace obéit maintenant à cette préoccupation, car il nest pas rare de voir un champ divisé en deux parties : une partie destinée aux cultures vivrières, une autre à la culture du coton. Pendant la campagne de 1997-98, rien que dans la zone du nord, la production de coton est de 8000 tonnes, ce qui correspond à un revenu annuel par paysan de 464 558 FCFA. La culture du coton a occasionné une compétition foncière. Si on nest pas tenté daugmenter les superficies cultivables, on pense au moins à conquérir dautres parcelles. Avec le développement de la culture du coton, les revendications de propriété ou de limite de parcelle sont devenues fréquentes. La compétition foncière est exacerbée par lintroduction de la culture de lanacarde. Produit destiné à lexportation et exigeant moins deffort physique, lanacarde constitue aujourdhui dans le nord " larbre vedette ". Comme disais un vieux, quand on commence à prendre de lâge, il veut mieux planter des anacardes qui ne demandent pas un suivi quotidien et plus rentable que le coton maintenant. La plantation danacarde est tellement développée quil est à redouter un recul des cultures vivrières dune manière considérable ou des autres types de culture, dans quelques années. Sur quatre champs visités, trois sont plantés danacardes. La simplicité de la culture danacarde et son moindre coût sont autant déléments qui empêchent aux vieux de prendre la retraite sur la terre. Les vieux ne se désintéressent pas encore de la terre vu le regain dintérêt suscité par cette culture innovante, à limage de la culture de mangue. I-5-2 La typologie des conflits Dans le classement des conflits, il sagira surtout dopter pour une approche basée sur les causes. Il va de soit que les acteurs sont incontournables, mais cest à travers les causes quon pourra mieux apprécier lévolution de ce droit foncier coutumier, tout au moins les facteurs contribuant à son affaiblissement. On se contentera dévoquer les conflits les plus fréquents, tels que ceux résultant des délimitations des parcelles, ceux provenant des contrats de cession ou de prêt, enfin le problème posé actuellement par la règle de succession matrilinéaire. I-5-2-1 les conflits résultant de la délimitation des parcelles La survenance de différends provenant de la matérialisation des zones ne surprend guère, car les champs en pays sénoufo nadmettent pas de limites matérialisées. Cest presque interdit de mettre des limites physiques entre deux champs voisins, ce-ci en vertu de considérations mystiques. Le mauvais sort risque de frapper quiconque outrepasserait ce principe (certains parlent même de mort). Souvent ce sont des touffes dherbes, une simple bande de terre ou au meilleur des cas des arbres qui permettent de délimiter les parcelles, rarement des clôtures. Il y a toujours un acte consensuel à la base de lopération de délimitation. C'est-à-dire les parties conviennent oralement sur une ligne de démarcation. A ce niveau, cest vraiment la mémoire qui fait office de cartographie, la mémoire collective faisant ainsi foi. Cette tradition orale fait que les limites sont toujours artificielles, ce qui pose un problème de constance des surfaces qui reviennent à chacun. A défaut de repères concrets, on assiste souvent à des disputes provenant du fait que lun a grignoté délibérément ou involontairement sur les parcelles de lautre, son voisin. Dans ce cas, la mauvaise foi est souvent difficile à prouver. Les gens font semblant parfois dignorer les limites. Ce problème se pose surtout quand lun des occupants décèdent. Les héritiers qui nétaient pas là au moment de lopération de délimitation, ne sont pas censés maîtriser les dimensions réelles des parcelles. Si le voisin est de mauvaise foi, il peut profiter de leur ignorance pour grignoter quelques mètres. Quand un tel problème survient entre deux membres dun même village, il est vite réglé à lamiable grâce aux témoignages des uns et des autres. Le problème devient plus complexe quand cest deux villages voisins qui se disputent des frontières, ce qui est fréquent dans le Nord. Les villages revendiquent parfois des bandes de terre ou des bas fonds qui sont propices à la culture du riz. Dans la majeur partie des villages visités, un tel conflit sest au moins une fois posé dans le passé, même si toujours on parvient à trouver une solution. Le conflit qui a été révélé et qui est actuellement pendant devant la justice, oppose la sous préfecture de Napié à la sous préfecture de Tioroniaradougou (deux sous préfectures voisines). Il sagit dune revendication de part et dautre, dune bande de terre abritant des plantations de Teks. En réalité, le conflit est parti de la confrontation entre les deux villages se trouvant à la frontière entre les sous préfectures : Nambéka qui fait partie de la sous préfecture de Tioroniaradougou, et Thiaka qui relève de la sous préfecture de Napié. En raison de limportance économique de cet arbre, qui est un bois très prisé, chaque village veut se lapproprier. Largument avancé par le village de Thiaka est que cette terre leur appartient et quil lavait simplement prêté aux habitants de Nambéka. Pour précision, les habitants de Thiaka occupaient dans lhistoire cette bande de terre. Mais avec la baisse de la fertilité des sols, ils sont allés conquérir les terres actuelles quils occupent dans la sous préfecture de Napié, tout en estimant que cette terre abandonnée, occupée par la suite par les habitants de Nambéka, leur appartiendrait toujours. Maintenant que cette bande de terre présente un intérêt économique majeur, ils le revendiquent comme faisant partie de leur patrimoine. Tout dernièrement, une rencontre a été organisée à la sous préfecture de Tioroniaradougou (au mois de Septembre 2002), entre les deux villages voisins pour trouver un compromis. Naturellement, le témoignage des sages et des maîtres de terre de chaque côté est requis pour la reconstitution des limites entre ces deux villages voisins. Mais une solution définitive na toujours pas été arrêtée. Face à ce conflit, une tendance se confirme après analyse. Les populations locales ont leur propre représentation des limites et frontières qui les séparent, qui nest pas forcément celles établies officiellement par ladministration. Leur conception de lespace rend compte dune certaine discontinuité du patrimoine foncier, en ce sens que le terroir dun village peut trouver son prolongement dans un autre village. Une telle conception de lespace est toujours à lorigine de confusion dans cette partie du nord, comme on va sen apercevoir aussi avec la circulation de la terre, entre détenteurs et demandeurs. I-5-2-1 Les conflits résultant des actes de cession Lentre aide foncière engendre souvent des confrontations, ce qui est bien prévisible. Les contrats de prêt pouvant sétaler sur des années et même se transmettre de génération à génération, créent une présomption de propriété au profit de lemprunteur. Après avoir longtemps occupé une parcelle sur la base dun contrat de prêt sans être dérangé, le bénéficiaire se comporte comme un réel propriétaire terrien même si par ailleurs il ne pourra jamais exercer certaines prérogatives sur la terre (la plantation darbres par exemple) sur laquelle il ne dispose quun simple droit dusage précaire et révocable. Parfois, les héritiers même ne sont pas censés savoir que leur père nétait pas propriétaire, et ne disposait quun droit précaire sur la terre. Le problème survient maintenant quand le réel propriétaire terrien ou ses héritiers tentent de retirer la parcelle prêtée. Après une longue occupation paisible, le bénéficiaire oppose souvent des résistances. Bien que conscient que la terre ne lui appartient pas, il conçoit avec difficulté à retourner cette parcelle qui lui permet de survivre et de nourrir la famille. Dautant plus que les terres deviennent de plus en plus rares. Il lui sera très difficile de retrouver une autre parcelle à cultiver. Cette obstination ne doit pas être analysée comme relevant de la mauvaise la foi, mais plutôt elle se justifie par des raisons de survie. Le bénéficiaire, surtout chef de famille, est bien conscient quil nest pas propriétaire, mais face à la quasi impossibilité de trouver une autre parcelle en rechange pour nourrir sa famille, il se sentirait démuni en cas de restitution de la terre. Dans un conflit présenté au sous préfet de Korhogo, opposant une famille peul à qui on avait prêté la parcelle pendant des années, aux héritiers dun propriétaire terrien qui demander sa restitution, le chef de famille peul a clairement avoué que la propriété de la terre ne lui revient pas du tout, mais comme il a plus dune dizaine denfants en charge, il ne peut pas la restituer. " Je ne connaît que cette terre que mes parents ont cultivé pour me nourrir, à mon tour ainsi de nourrir la trentaine denfants qui sont sous ma charge ; je nai pas où aller, plaidait le chef de famille peul bénéficiaire dun contrat de prêt lors de laudience ". Et lautre partie avançait quelle a besoin de la parcelle pour pouvoir faire la culture de coton qui est une culture de rente. Ce qui confirme les tendances selon lesquelles les revendications sont exacerbées par le désir de la plupart de la population de sadonner aux cultures commerciales. Compte tenu de la dimension sociale qui entoure un tel type de conflit, parce que risquant de produire des " sans terre ", on a tendance à recourir à léquité dans la recherche de solution Léquité constitue maintenant un critère important dans le règlement des conflits (voir infra). Ainsi la gestion coutumière ne sécurise guère les détenteurs de droits précaires sur la terre. Loccupation peut être remise en question à tout moment. Il nexiste pas de preuves écrites relatives à ces transactions ; cest une société de loralité, même si dans certaines parties rurales de la Côte dIvoire, on a recours de plus en plus à lécrit dans les transactions foncières. Pour éviter cette situation de confusion, beaucoup de chefs terriens limitent maintenant la durée de la cession dans le temps et dans lespace, ou exige le renouvellement du contrat de prêt périodiquement. Dautres préfèrent tout simplement ne pas donner des terres en prêt (voir infra). Les opérations de prêt de terre doivent être différenciées des donations ou de la vente. Cest pour éviter cette confusion que les bénéficiaires de don en terre tentent par tous les moyens de détenir les preuves dune telle libéralité. Pour éviter toute contestation de loccupation dun terrain acquis par donation, qui donne droit à un titre de propriété, les bénéficiaires pouvaient solliciter une procédure spéciale appelée enquête de concession au niveau de la sous préfecture pour sécuriser leur droit. Lenquête de concession est une procédure enclenchée après une cession définitive de terre par les chefs de terre au profit de particuliers, en vue de se convaincre que lacte de concession ne fait lobjet daucune contestation ou opposition. Une fois la requête adressée au Sous préfet, ce dernier confie un ordre denquête au Bureau Régional des Affaires Domaniales Rurales. Lenquête se fait au près des chefs coutumiers et notables du village concerné, pour leur demander de témoigner que la parcelle a été librement cédée sans opposition à la personne concernée. Lenquête est sanctionnée par un acte pris par le sous préfet qui constate définitivement lacte de cession, ce qui confère à son bénéficiaire un droit de propriété. La terre cédée définitivement est désormais purgée du régime coutumier, et ne pourra faire lobjet dune quelconque contestation dans lavenir. Cette procédure est maintenant remplacée par limmatriculation telle que instituée par la loi de 1998 sur le domaine foncier rural. I-5-2-2 Les tendances vers une remise en question du régime de succession traditionnel Phénomène nouveau en pays sénoufo, de plus en plus le système de succession qui est de type matriarcat fait lobjet dune contestation ou tout simplement dune remise en question, ce que personne naurait imaginer faire quelques années derrières (la sorcellerie et le maraboutage sont des facteurs empêchant la remise en question de lordre et de lorganisation sociale). Le système de succession matrilinéaire qui favorise le neveu est considéré comme injuste pour certains ; il empêche aux fils légitimes de bénéficier de lhéritage de leur père. Au décès du père, cest le neveu qui bénéficie du titre si le défunt était un chef, à défaut les neveux sont favorisés dans le partage des biens. Dans le domaine foncier, même si le fils légitime continue dexploiter la parcelle attribuée par son père de son vivant, lhéritier, en loccurrence le neveu détient toujours lautorité sur lui. À partir de ce moment, le fils légitime est considéré comme un simple usager sans droit de propriété sur la terre. Les bas fonds destinés à la culture du riz reviennent doffice au neveu. Même si le contrôle des bas fonds est du ressort du neveu, leur exploitation est une exclusivité des femmes pour des superstitions, qui y développement la culture du riz et de patates. La culture du riz altère la virilité des hommes, dit-on. Mais la femme na pas droit à la succession dans la société Sénoufo. De nos jours certains on du mal à concevoir que le système matrilinéaire soit toujours la référence en matière de succession. Lautorité du chef coutumier est contestée dans certains villages, parce que considérée comme étant illégitimes par certains du fait de la succession matrilinéaire. Beaucoup de jeunes revendiquent maintenant linstitution du régime patrilinéaire. Un conflit de génération est à craindre dans lavenir dans le nord où la hiérarchie sociale a été jusquici rigoureusement respectée. Daprès les informations recueillies au Tribunal départemental de Korhogo, les plaintes contre le régime de succession matrilinéaire se multiplient ; et pour un juge du tribunal, ce phénomène montre un début de prise de conscience en milieu rural. Au niveau du tribunal, cest larticle 9 de la loi n°64-379 du 7octobre 1964 relative aux successions qui sapplique en cas de conflit relatif à la succession. Cette loi ne reconnaît pas le système matriarcat. Le code civil ivoirien a institué la transmission de lhéritage de père en fils. Mais les décisions rendues par la justice en la matière sont difficilement acceptées par les parties. De telles résistances pérennisent les conflits. Il est intéressant de souligner que beaucoup de familles reconverties à lIslam ont abandonné le système matrilinéaire au profit de la succession patrilinéaire en se fondant sur les règles coraniques. Au niveau de certaines familles, comme celle du chef de canton de Korhogo, cest le matriarcat qui était pratiqué à lorigine, mais avec linfluence de lIslam un tel régime nest plus de mise. Daucuns attribuent cette révolution à linfluence des dioulas, qui se sont reconvertis les premiers à la religion musulmane. Bien que reconverties à lIslam, beaucoup de familles Sénoufo ont conservé la coutume en matière de succession et participent toujours au culte animiste. Lislam telle que pratiqué dans certaines familles reconverties est syncrétique. Pour atténuer les méfaits du système matrilinéaire, on opte de plus en plus en pays Sénoufo pour le mariage endogamique, entre cousin et cousine. Cette forme de mariage permet de conserver au niveau dune même famille les titres et le patrimoine au décès du chef de famille. Le choix de lépouse chez les sénoufos se fait librement sans préférence de famille ou de groupe ethnique. I-5-3 Le règlement alternatif des conflits Il sagit danalyser les voies de recours existantes à lintérieur du village en cas de différends liés à lactivité de gestion de la terre. Evidemment le règlement à lamiable est la première issue, mais comme la dimension mystique joue un rôle important chez les sénoufos, les ordalies sont parfois utilisées pour apaiser les tensions. Cest volontairement quon fera abstraction du règlement judiciaire du fait quil nest pas trop développé. On réussit le plus souvent à trouver la solution au niveau dautres instances que nous tenterons dappréhender. Le règlement des conflits à lamiable est toujours privilégié. Lorganisation communautaire exige que tous les problèmes soient traités à " lintérieur du village ", et ne doivent en aucune manière être portés à la connaissance des étrangers. La procédure du règlement à lamiable suit une certaine hiérarchie calquée sur lorganisation sociale. En cas de différend entre membre dune même famille, le chef de famille réussit toujours à lapaiser à loccasion dun conseil de famille. Mais à léchelle villageoise, cest le chef de village et le chef de terre qui sont saisis pour trancher le problème. Dans les villages où un chef de terre existe indépendamment du chef de village, ce dernier est souvent associé au règlement des différends fonciers. Mais le pouvoir de décision revient au chef de terre qui est censé maîtriser le dossier foncier du village mieux que quiconque. Ailleurs, où le chef de terre est en même temps chef de village, la seule autorité du chef de village suffit pour trancher même si lavis de certains sages du village peut être requis. En cas dimpossibilité daboutir à un compromis au niveau du village, le chef de canton, dernier maillon de lorganisation coutumière, est saisi. Son intervention est décisive en tant que chef de tous les chefs de terre. Le chef de canton nhésite pas à user de son autorité comme un " baron " pour départager les parties. Son verdict fait foi. Les chefs peuvent recourir aux esprits avant de saisir le chef de canton pour trouver une solution aux différends. I-5-3-2 Lévocation des ordalies ou lépreuve de la vérité La possibilité de recourir aux ordalies dans le règlement des litiges fonciers est une conséquence du caractère sacré de la terre. Compte tenu de ses conséquences néfastes, car entraînant en principe la mort, les chefs de terre ont exceptionnellement recours à cette forme de recherche de la vérité. On ny a recours quand aucune des parties ne veut renoncer à ses allégations après plusieurs tentatives de négociation. Les parties doivent être daccord sur le principe du recours aux ordalies. Ainsi, lorsquil y a une contestation sur une portion de terre, une pratique consiste à inviter les deux prétendants sur la portion litigieuse. Chacun, à son tour, prend une motte de terre et déclare à haute voie devant lassistance : " je jure que cette parcelle mappartient ; elle ma été léguée par mes ancêtres. Si jai menti, que mes aïeux, qui sont dans le royaume des morts, viennent me prendre avant même que je ne regagne le village ". Après cette déclaration, il lape la motte de terre, puis la jette. La conséquence est que lun des prétendants qui aurait tort doit mourir au bout de quelques jours ou mois. Une autre pratique, au lieu dune motte de terre, les parties peuvent recourir sur la parcelle litigieuse, à une calebasse deau puisée dans une rivière avoisinante. On fait dissoudre une motte de terre dans leau recueillie, puis chacun bois une mixture après avoir appelé les ancêtres en témoins. Cette épreuve doit mener aux mêmes conséquences que la précédente, la mort. Le chef du culte peut aussi enterrer un fétiche sur la parcelle litigieuse, qui doit provoquer la mort de la personne en imposture. Le recours aux ordalies rend la terre impure donc inculte. En cas dévocation du fétiche, cette partie de la terre litigieuse ne doit plus être utilisée jusquà ce que le féticheur, en loccurrence le chef de terre, fasse le sacrifice qui permet de la purifier. Lépreuve des ordalies est considérée comme une souillure, en même temps une offense aux ancêtres. Le sacrifice peut être des poulets ou des chèvres, tout dépend de la recommandation faite par les génies. La durée de limmobilisation de la terre est variable, peut aller jusquà des mois ou plus dun an. Les épreuves de vérités sont craintes vraiment par tout le monde, cest pourquoi le règlement sous larbre à palabre est privilégié, ou même le recours à ladministration territoriale. II - LINTERVENTION SUBSIDIAIRE DE LADMINISTRATION DANS LA GESTION FONCIERE Lintervention de lEtat et des ses services dans la gestion foncière est très limitée. Dans le nord de la Côte dIvoire, la gestion coutumière des terres constitue la règle, lEtat sy immisce exceptionnellement. Plus précisément cest à loccasion des conflits, c'est-à-dire si aucune solution na été trouvée entre les chefs coutumiers au niveau du village, que ladministration territoriale est souvent sollicitée, ce qui lui donne une compétence résiduelle en la matière. Il faut préciser que ladministration ne sautosaisit jamais, du moins rarement, des problèmes qui se posent dans la gestion foncière coutumière. Elle nintervient que sur demande des acteurs concernés, tant que la gestion est paisible. En tout état de cause, lassociation de ladministration à la recherche de solution dans la gestion foncière coutumière a permis de restaurer partiellement la confiance entre une population qui a toujours été hostile à toute intervention étatique, à son administration territoriale. De surcroît, il se développe maintenant un climat de collaboration ou de dialogue entre les chefs coutumiers et les services de lEtat à loccasion des règlements des conflits, même si ce phénomène est encore timide. Avant dillustrer cette collaboration à partir de quelques exemples, il convient dabord dexposer la stratégie dintervention de ladministration territoriale. II-1 LAMBIVALENCE DE LA DEMARCHE DE LADMINISTRATION TERRITORIALE DANS SON INTERVENTION Cette ambivalence ressort du simple fait que ladministration a parfois recours à son autorité, alors que dans dautres, elle est obligée dutiliser la négociation. Dans le premier cas, on assiste à une confrontation entre la loi et la coutume, dans le deuxième cest plutôt la stratégie de la persuasion. II-1-1 Quand ladministration veut simposer par la loi Une fois le sous préfet ou le préfet sont saisis dun conflit foncier, un problème se pose. Cest que pour la plupart du temps ces conflits trouvent leur origine dans le droit coutumier, alors que ladministration est censé veiller à lapplication de la règle de droit étatique. La problématique principale devient dès lors : quelle règle de droit ladministration doit appliquer ? Ladministration nhésitait pas à recourir à la loi dans des conflits qui se posent en terme de régime de droit coutumier. Ainsi dans le conflit relatif à la dîme, présenté à la sous préfecture de Korhogo en 1990 (voir infra), le sous préfet dune manière catégorique, a appliqué la loi qui interdit le versement de la dîme dans les tractations foncières, tout en précisant sa mission de veiller à la bonne application des lois de la république. Lapplication systématique de la loi peut présenter un inconvénient. Cela parait contradictoire de faire recours à la loi dans un conflit qui trouve sa source dans le droit coutumier, ce dernier étant la référence absolue des parties. Une telle attitude rappelle la période coloniale, où le colon navait pour seule référence son droit. La réalité sociologique des parties rend en permanence inadaptée la décision de ladministration territoriale qui devient très vulnérable. Les parties peuvent faire semblant de laccepter devant lautorité en raison de la crainte quelle inspire, mais une fois au village, le problème peut resurgir. La non prise en compte des réalités de part et dautre a été à lorigine de nombreux échecs de tentatives de règlement de conflit. La sentence de lautorité administrative était souvent tenue en échec. Il nest pas rare de voir des conflits supposés déjà réglés par lautorité administrative, revenir sur sa table (on dit que les sénoufos sont récalcitrants) parce que la solution tirée dune application systématique des textes est inadaptée aux réalités coutumières. A la veille de chaque saison de pluie, beaucoup de conflits déjà tranchés resurgissent. Tirant les conséquences de cette intervention autoritaire souvent dénuée deffet par la résistance des populations, ladministration nhésite plus aujourdhui à chercher la solution des problèmes fonciers qui lui est posés dans la coutume. La loi officielle est inopérante. Les sous préfets qui sont généralement saisis en ultime recours, font intervenir dautres critères qui sont de lordre de léquité et du consensus dans le règlement des conflits qui leur sont soumis, reléguant ainsi la loi au second plan. Lors dun entretien, un sous préfet nous a fait savoir quen matière de règlement de conflit au niveau préfectoral, il faut prendre en compte les réalités coutumières, telle que la cosmogonie et lorganisation sociale des sénoufos. Toujours selon ce représentant de lEtat, lastuce pour trouver un compromis serait plutôt de dialoguer, de persuader les acteurs. Les notions déquité et de tolérance sont maintenant présentes dans la démarche de ladministration en matière de gestion des conflits. Par exemple, lors des conflits relatifs à une utilisation prolongée dun droit dusage, le sous préfet sarrange pour quaucune partie ne soit lésée. Ainsi, même si la terre doit être restituée, il demande au propriétaire de céder une petite partie à lancien occupant pour quil puisse assurer sa survie, ce-ci au nom dune solidarité villageoise. On ne peut prendre cette démarche pour règle générale dans la zone, mais elle nous permet au moins de se rendre compte des mutations qui ont affecté la stratégie de ladministration qui a toujours été autoritaire. Une démarche originale du sous préfet de Korhogo lors de larbitrage auquel on a assisté, a consisté à appeler les parties en conflit à dialoguer entre eux-mêmes pour aboutir à un compromis. Il rappelle que cest au nom de la solidarité et des liens de voisinage qui les lient quil leur fait confiance, doù lapplication de ladage selon lequel " le linge sale se lave en famille ". Ce nest pas que le sous préfet na pas les arguments nécessaires pour simposer autoritairement en tant que représentant de lEtat, mais il tient à ce que la stabilité du climat social dans ce village soit préservée. La solution élaborée par les acteurs eux-mêmes présente plus de garantie et deffectivité que celle imposé à partir de lextérieur du groupe II-1-2 Le recours à la négociation Nous allons illustrer la démarche de ladministration consistant à recourir à la négociation, en faisant recours non pas aux conflits fonciers, mais à une opération de lotissement et de remembrement qui a été initiée dans la sous préfecture de Tioroniaradougou, qui abrite en même temps une commune du même nom. Il faut signaler que le gouvernement de la Côte dIvoire avait entrepris une politique de communalisation bien avant la nouvelle réforme de 2002 sur la décentralisation. Dans le but de moderniser les villages, ce mouvement de communalisation consiste à regrouper un ensemble de village en commune avec un chef lieu, qui est en général le village centre. Ce souci de modernisation pousse ces communes à mettre en place des programmes daménagement de lespace à travers les opérations de lotissement. Lopération de lotissement pose moins de problèmes en zone urbaine quen zone rurale où lattachement à la terre est très fort, et que ces nouvelles communes ne disposent pas de moyens suffisants pour indemniser les pertes de propriété occasionnée par une telle opération. En principe, la commune en tant que personne morale de droit public, peut user de prérogatives de puissance publique telle que lexpropriation à des fins dutilité publique ou au droit de préemption. Mais de tels instruments juridiques ne saurait aboutir dans une zone où la coutume est encore vivace, la terre présentant toujours une valeur sociale. La négociation est toujours recommandée. Lexemple de Tioroniaradougou est intéressant dans la mesure où lopération de lotissement a été menée conjointement par la sous préfecture et la mairie. Il faut souligner que le sous préfet exerce une tutelle très forte sur le maire. Létroite collaboration entre le sous préfet et le maire dans le cadre dune décentralisation imparfaite donne de limportance au choix porté sur Tioroniaradougou pour illustrer les stratégies de négociation entre autorités coutumières et autorités étatiques. A lorigine de lopération, le maire avec la collaboration du sous préfet, a organisé des séances de consultation avec les chefs de terre pour les mettre au courant de la volonté de la commune de procéder à un lotissement des villages qui va exiger une concession de la part des propriétaires terriens. Le projet a été quand même difficilement concevable par les chefs de terre, par crainte de perdre une partie de leur propriété. Mais les avantages que peut procurer une telle opération ont fini par les convaincre (accès à leau potable, accès à lélectricité, aménagement dinfrastructures routières ). A loccasion, des lots de parcelles ont été remembrés avec accord des chefs de terre et des chefs de famille, destinés à être réaffecté aux membres de la commune demandeurs. Les terres destinées au remembrement se trouvent à la frontière entre le périmètre communal et les champs de brousse. La condition du remembrement a été que les propriétaires terriens auront droit à deux lots de parcelles, un pour les simples demandeurs. Une telle clause a été bien acceptée par la commission foncière dirigée par le sous préfet. Les demandes de parcelles sont reçues au niveau de la mairie, mais la décision daffectation revient en dernière instance au sous préfet. La portée dune telle opération de lotissement et de remembrement est que toute personne appartenant à la commune peut prétendre à une affectation dans la limite des parcelles disponibles. On peut dire que laccès est plus démocratique. Cette opération a permis de purger quelques terres du régime de droit coutumier vers un mode de gestion moderne. Les personnes bénéficiaires de lot doivent payer des frais de bornage. Ce qui permet aussi à la commune de bénéficier de rentrées de fonds. Ces parcelles seront certainement grevées dans le futur de la taxe foncière au profit de la commune. Si le bornage na pas été requis au-delà dun certain temps, le terrain peut être retiré et réaffecté à un autre demandeur. Le bornage est une étape vers limmatriculation qui permet détablir définitivement la propriété sur le terrain. Ainsi, le remembrement a permis de passer de manière subtile dune propriété communautaire des terres à la propriété privée et individuelle. Cependant des velléités se manifestent au niveau de la commune de Tioroniaradougou, venant de certains chefs de terre qui réclament beaucoup plus de parcelles dans lopération sous prétexte quils ont des familles nombreuses. Les opérations de lotissement commencent à avoir une ampleur réelle dans les villages du nord. Au titre de lannée 1998, cinq villages des vingt deux que compte la commune de Tioroniaradougou ont réalisé leur projet de lotissement, trois autres sont en cours. II-2 LA COLLABORATION ENTRE LADMINISTRATION ET LES AUTORITES FONCIERES COUTUMIERES Etant incontournable dans la gestion foncière, les autorités coutumières font souvent lobjet de sollicitation par lEtat, notamment à loccasion délaboration de projets de développement. Ainsi lopération de grande envergure intitulée Plan foncier Rural qui a permis de concevoir la réforme de 1998 portant création du domaine rural, a été une occasion pour services de lEtat et structures coutumières de coopérer en vue de donner une plus grande lisibilité au droit coutumier. Des structures intermédiaires entre lEtat et autorités coutumières ont été crées, consacrées par la nouvelle réforme portant création du domaine rural. Il sagit de commissions de gestion foncière installées au niveau villageois dont lobjectif, entre autres, est la démocratisation de ladministration foncière. II-2-1 Le Plan Foncier Rural repose sur une démarche participative En 1990, lEtat ivoirien a lancé le grand projet de recensement des droits coutumiers dans le cadre dun programme appelé Plan Foncier Rural. Lidée est partie dun constat selon lequel la terre constitue un facteur de production rare et fait lobjet de beaucoup de convoitises et de prétentions qui dégénèrent le plus souvent en conflit. Ces conflits trouvent souvent leur origine dans le manque darticulation entre le régime foncier étatique et celui coutumier. Le désir de sécuriser laccès à la terre en vue dapaiser les craintes des investisseurs a incité le gouvernement ivoirien par lintermédiaire du Ministère de lAgriculture et des Ressources Animales, a initié en 1990 lopération pilote Plan Foncier Rural (PFR), suite à la décision du conseil des ministres du 21/12/1988. Le PFR a procédé à des séances dinventaire et de cartographie des terres, quelles soient individuelles ou collectives, à des enregistrements des ayants droits, ce, tant dans lacceptation coutumière que moderne ; et surtout le PFR devait constater tous les droits qui sont exercés sur la terre, notamment les droits coutumiers. Les autorités coutumières étaient incontournables pour la réalisation dune telle opération. Toutes les composantes de lespace local des villages concernés ont été sollicitées en vue deffectuer un inventaire et un recensement des parcelles. Le recensement devait permettre de savoir qui est chef de telle terre, quelle famille occupe telle terre. Ce qui nest pas une entreprise évidente compte tenu du caractère artificiel des limites des terres en pays sénoufo. On ne pouvait compter que sur la collaboration des différents chefs de terre pour pouvoir réaliser le projet. A travers lenquête démographique, tous les détenteurs de cultures et/ou de terre sont identifiés et ont fait lobjet dune enquête foncière. Au cours de lenquête foncière, les équipes du PFR ne relèvent que les limites indiquées par le paysan enquêté. Les limites sont définies de plein accord entre les membres du village. Le procès verbal nest validé que lorsque les deux occupants voisins saccordent sur son contenu. La procédure est contradictoire. En cas de contestation de limite, entre voisin, les équipes enregistrent à tour de rôle les limites indiquées par chacun des voisins. Il se dégage une zone dintersection dite (zone litigieuse) qui est soumise à larbitrage des autorités locales. Le règlement se fait au niveau local, en labsence même des équipes du PFR. A loccasion dune séance de restitution, toutes les déclarations enregistrées sur les parcelles et les cartes élaborées sont exposées au village, en présence de toute la population. Loriginalité de la démarche du PFR trouve toute sa signification dans lenregistrement du procès verbal denquête foncière : le paysan parle, on lécoute et lon écrit ce quil dit. Cette façon de procéder permet dune part, daccéder à linformation foncière coutumière en prise directe, et dautre part, induit au niveau des paysans une responsabilisation qui leur permet de prendre pleinement conscience des enjeux de la formalisation du droit coutumier. Lobjectif du Plan Foncier Rural est daprès ses promoteurs, de moderniser les pratiques coutumières relatives à la gestion de la terre par une tentative de codification. Ce projet de codification de la coutume ressemble plutôt à des leurres dans la mesure où la loi de 1998 qui est une concrétisation formelle de cette opération donne un sursis à la coutume. Les populations sont invitées à sadapter à une nouvelle réalité juridique. Les détenteurs de droits coutumiers doivent requérir un certificat foncier et procéder au minimum trois ans après, à une procédure dimmatriculation. Si le certificat foncier peut être établi au nom du groupe ou de la communauté, lacte dimmatriculation ne peut lêtre quau nom dune seule personne. Nest ce pas une atteinte aux principes communautaire et collectif du droit foncier coutumier ? Il est évident que limmatriculation individuelle de la terre va entraîner des bouleversements dans le fonctionnement du droit foncier coutumier, notamment aux prérogatives des chefs de terre. Ainsi, est-ce que les chefs de terre auraient-ils collaborer avec le Plan Foncier rural sils savaient quune telle action allait compromette leurs prérogatives ou porter atteinte aux valeurs coutumières? Une chose est évidente, cest que lEtat na pas informé les populations sur le contenu et les aboutissements de la loi. Même sils ont bien apprécié laction du Plan Foncier Rural, parce quelle devait mettre fin à certaines incertitudes (telle que les limites aléatoires des terres), il faut reconnaître que ces populations ignorent que limmatriculation de la terre doit entraîner le paiement de taxes plutard (frais occasionnés par la demande dimmatriculation, les taxes relatives à lutilisation du sol). Paradoxalement, cette même loi a institué des comités de gestion foncière à un niveau villageois, au sein desquels peuvent sexprimer les chefs coutumiers II-2-2 Les comités villageois de gestion foncière et le souci de démocratisation Les comités villageois de gestion foncière sont initiés avec la loi de 1998 portant création dun domaine foncier rural. Ils constituent un dédoublement des comités de gestion foncière au niveau préfectoral et sous préfectoral. Le comité est institué par arrêté préfectoral. Leur mise en place est pilotée par la Cellule dAppui à la Gestion Foncière Rurale qui est lorganisme de substitution au Plan Foncier Rural. Le comité villageois est en principe paritaire. Il doit intégrer toutes les ethnies, toutes les catégories sociales sans distinction de sexe ou de race. La désignation de ses membres obéit à une logique endogène. C'est-à-dire les membres sont choisis par les populations elles-mêmes. La Cellule dAppui qui assiste toujours à la première assemblée constitutive de ces comités, ne fait que coordonner et entériner les initiatives des populations. Après chaque réunion, un procès verbal est établi avec les noms des différents membres choisis par les villageois et leurs différentes responsabilités. Cest ce procès verbal qui servira à linstitutionnalisation du comité par un arrêté préfectoral. Les attributions de ce comité sont en principe celles des chefs de terre. Il doit procéder à laffectation et à la désaffectation des terres, apaiser les conflits, jouer un rôle de cohésion sociale. Les comités sont entrain dêtre installés progressivement selon un calendrier définit par la Cellule dAppui à la Gestion Foncière Rurale. Mais on peut quand même faire un constat dès à présent à travers les villages dans les quels ces comités existent déjà, même sils ne sont pas encore tout a fait fonctionnel. Le choix des membres obéit à la hiérarchie sociale de base. Le comité nest quune reproduction de lorganisation sociale en matière de gestion foncière selon la coutume. Pour la plupart, le chef de terre est le président du comité. Les autres membres du comité sont souvent des héritiers présumés ou des personnes influentes du village. Les comités mis en place dans les villages visités dans la sous préfecture de Korhogo, nadmettent pas en leur sein ni les femmes, ni les étrangers. Pour certains, le fait dadmettre des étrangers dans le comité peut être vu comme étant une crise dautorité dans le village. Parce que létranger na pas un droit de parole, et ne peut en aucune manière participer au processus de prise de décision. Comme la gestion foncière constitue aussi une affaire de famille et de groupe lignagère, létranger doit se tenir à lécart des problèmes de familles. Il ne doit pas percer ce mystère familial. Donc, si ces comités de gestion doivent répondre à un souci de démocratisation de la gestion foncière au niveau villageois, il convient de reconnaître que leur organisation nest pas très différente de ce quelle est selon la coutume. La seule différence qui nest pas du tout déterminante pour linstant, cest le statut officiel dont bénéficient ces comités. Il faut leur laisser le temps de vivre un peu pour pouvoir analyser leur efficacité, même si des biais sont vites apparus dans leur formation. Lanalyse a prouvé que les structures coutumières sont plus que jamais présentes dans la gestion foncière dans cette partie nord de la Côte dIvoire. Du moins, elles sont incontournables dans le processus décisionnel en matière de développement dans le département de Korhogo. Ce -ci est dautant plus vrai que ladministration territoriale nous a recommandé de prendre contact avec les chefs coutumiers les plus influentes dans le département pour pouvoir cerner tous les contours du régime foncier dans la zone. Les tendances timides dévolution de ce droit coutumier ne doivent pas nous pousser à une conclusion hâtive selon laquelle le droit coutumier est en train de disparaître. Au contraire le régime foncier coutumier est toujours vivants, ladministration aidant, malgré quelques assauts venant de la part des politiques. Au vu de cette prééminence du droit foncier coutumier, il est à craindre que cette réforme introduite par la loi 98-750 du 23 Décembre 1998 portant création dun domaine foncier rural ne puisse produire deffets dans les jours immédiats. Le recensement des droits effectué par le Plan Foncier Rural auquel les populations ont adhéré, est insuffisant pour susciter déjà un certain optimisme en ce qui concerne le triomphe de la réforme. Il faut le rappeler, cette opération a été menée en toute ambiguïté (les paysans nétant pas informé sur les réelles motivation dun tel projet). Une étape doit dabord être franchie dabord, linformation des destinataires sur les tenants et les aboutissants de la réforme foncière entreprise par la deuxième république. Cest après seulement quon pourra sapercevoir de ses chances de succès ou déchec. En attendant, la coutume foncière récidive dans les sous préfectures de Korhogo et de Tioroniaradougou après avoir subi plusieurs assauts. Comme la souligné le Doyen Jean Carbonnier, " labrogation juridique ne coïncide pas toujours avec labrogation sociologique et la loi que le législateur a voulu supprimer peut très bien continuer à vivre, très vivante dans la conscience de lindividu ". |