Aline AKA, Dominik KOHLHAGEN, Oumar SYLLA

Vers de nouvelles dynamiques entre loi et coutume ?

Etude sur les politiques nationales de gestion du foncier et des ressources naturelles en Côte d'Ivoire et à Madagascar
(2000-2002)
Conclusions intérimaires communes

 

La situation foncière dans le Nord de la Côte d'Ivoire reste marquée par une certaine constance. La réforme foncière portant création d'un domaine foncier rural obéissant à une logique de reconnaissance des pratiques coutumières ne saurait aujourd'hui revendiquer un quelconque succès, notamment quant à sa légitimité vis-à-vis des populations autochtones.

Si la réforme GELOSE à Madagascar dont l'objectif aussi est de légitimer les institutions coutumières par une procédure formaliste, commence à prendre une dimension concertante, il convient de remarquer que la loi ivoirienne de 1998 portant création d'un domaine foncier rural n'arrive toujours pas à surplomber la coutume.
Dans le contexte malgache, la législation foncière et de la gestion des ressources naturelles d'une manière générale témoigne d'une volonté manifeste du politique d'intégrer dans le processus normatif les coutumes locales.
Dans le contexte ivoirien ou malgache, le but final visé par le législateur est d'aboutir à l'institution de la propriété privée en matière foncière par la procédure de l'immatriculation. Un tel processus est loin de connaître un dénouement et semble relever même du domaine de l'idéal. Il faut le rappeler, " la problématique de la généralisation de la propriété privée " reste encore très prématurée pour " constituer le vecteur immédiatement concrétisable des politiques foncières ", même si " la doctrine propriétariste reste l'alpha et l'oméga de la politique d'aide multilatérale " .

Le règlement des conflits est un moment idéal pour mesurer l'importance de la coutume dans la gestion foncière. Quelques soient les artifices utilisées par l'administration de l'Etat, la solution est toujours puisée dans la coutume. On parle tantôt de pluralisme juridique ou de mixité juridique dans les rapports entre droits traditionnels et droit officiel. L'attitude plus ou moins hésitante d'un juge légalement investi par rapport au choix de la règle applicable au moment du règlement des litiges fonciers débouche souvent sur une jurisprudence à deux vitesses. Néanmoins, il faut tout de même reconnaître un déséquilibre entre règles traditionnelles et droit étatique dans le dosage, au profit des premières, comme on eut à le constater aussi bien au Nord qu'au Sud de la Côte d'Ivoire.

La comparaison entre la situation foncière prévalant au Sud et au Nord de la Côte d'Ivoire ne pourrait être plus pertinente dans le contexte politique actuel. La réforme foncière véhiculée par cette fameuse loi du 23 décembre 1998 est conçue aujourd'hui comme un des catalyseurs de la crise politique qui secoue la Côte d'Ivoire, face à une intention du législateur ivoirien de favoriser l'accès à la terre aux nationaux (l'article 1er de la loi de 1998 portant création d'un domaine foncier affirme que seuls les nationaux ivoiriens ont accès à la propriété foncière, encore que le principe de la nationalité mérite d'être éclairé). Compte tenu de la différence de valeur de la terre au Nord et au Sud (le sud est le domaine des plantations, et la terre y est beaucoup plus fertile, donc plus valorisée), on pourrait se poser la question de savoir si cette loi ne risque pas d'avoir peu de répercussion dans la partie méridionale. Un autre critère réconforte une telle interrogation, c'est celui de la notion d'ivoirité. L'étude sur les étrangers nous renseigne que le Nord est plus une zone de départ que d'accueil, l'immigration (notamment des pays voisins) y constitue un phénomène mineur. Par conséquent, le pays sénoufo pourrait être épargné par les conflits de nationalité pour ce qui est, bien évidemment, de l'accès à la terre. Quant au conflit opposant agriculteurs et éleveurs, si la loi de 1998 privilégie les droits agraires au détriment des droits pastoraux, ce choix ne présente actuellement aucun impact sur les modes de règlement.

D'après les tendances qui se sont dessinées pendant l'étude des institutions coutumières dans la zone nordique de la Côte d'Ivoire, la gestion foncière coutumière risque de connaître un dynamisme interne dans un moyen terme. L'introduction des cultures commerciales peut jouer un rôle de catalyseur. Aujourd'hui, avec la perte de vitesse des exploitations cotonnières, la culture de l'anacarde tend à devenir de plus en plus un élément privilégié de mise en valeur des terres, donnant ainsi à la terre une valeur marchande. Ne serait-il pas alors fondé de craindre une remise en question de la hiérarchie traditionnelle pour un accès plus démocratique aux ressources foncières ? L'autorité en pays sénoufo revêt un caractère sacré, ce qui a permis de minimiser les tentatives d'insurrection. Mais avec le processus de modernisation, les jeunes fréquentant de plus en plus l'école française et la diffusion d'une autre conception de l'économie, il reste tout de même à craindre plus tard une déstabilisation de l'autorité coutumière qui sert actuellement de régulateur social et politique.